13 janvier 2022 – 1er cours avec Luc Ferry
Alain-Noël Dubart – 18 janvier 2022
« A l’heure où l’on suggère le remplacement des uns par les autres, et l’on présente l’altérité comme une non France, nous avons plus que jamais besoin du sens de l’appartenance et du destin retrouvé »
La crise sanitaire que nous connaissons n’a pas dit son dernier mot, mais il est un autre mal qui ronge insidieusement la maison France. Il menace autant son immunité républicaine que le cœur de son ouvrage : ses valeurs, son histoire et son unité. C’est le citoyen musulman, déclaré adventice, qui est désormais responsable de tous les maux. Il est sommé de changer, de se renier en quittant son être propre car, on l’oublie souvent, il est aussi la France. Rien de moins que cette France n’est visée et mise en cause dans cette cabale suicidaire. Comment se retrouver, dans l’histoire avec ses pages nobles qui nous grandissent et d’autres pages sombres qui nous immunisent ? Comment sortir de cette fuite en avant et ne pas marcher sans nous battre vers la nuit éternelle ?
L’histoire de France n’est pas une fiction que l’on peut extrapoler, réécrire et déformer au gré des envies, des foucades et des lubies. Elle est un tout qu’il convient de recevoir, d’interroger et de partager. Un « presque » candidat à la magistrature suprême ne saurait nous dicter une « presque » histoire, faite de négations criminelles, de réhabilitations inconcevables, de récupérations outrancières et de mensonges éhontés. Dans son sillage, nombre de commentateurs et de candidats à l’existence publique s’appliquent, eux aussi, à nourrir cette charge aveugle contre une frange de la communauté nationale, sans mesure ni discernement. Ils sont mus par un débat public dont les digues protectrices ont lâché et dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’identitarisme et l’extrémisme.
Des lignes de faille profondes — identitaire, sécuritaire, éducative, sociale, idéologique et culturelle — s’entrecroisent dans notre pays, le minent et le fragilisent. Elles engendrent frustration, solitude, peur et désespoir. Alors, n’a-t-on rien trouvé de mieux qu’un discours de haine radicalisé comme un programme politique nourrissant des comportements d’autodestruction individuelle et collective.
Aucune voix éclairée de l’islam de France, a fortiori pas celle de la Fondation de l’islam de France qui s’est égosillée en appelant à la nécessaire refondation de la pensée théologique pour consacrer la désacralisation de la violence et le rejet de toutes les lectures rétrogrades faisant le lit du salafisme extrémiste n’est écoutée.
Chantiers titanesques. Ainsi, pour donner lecture de cette confusion entretenue, l’islamisme comme idéologie politique mortifère travestissant la religion islamique, est-il délibérément et systématiquement confondu avec l’islam tradition et spiritualité. Aucune voix éclairée de l’islam de France, a fortiori pas celle de la Fondation de l’islam de France qui s’est égosillée en appelant à la nécessaire refondation de la pensée théologique pour consacrer la désacralisation de la violence et le rejet de toutes les lectures rétrogrades faisant le lit du salafisme extrémiste n’est écoutée. Il est vrai qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Au moment où nous entreprenons des chantiers titanesques afin de sortir de toutes les clôtures dogmatiques et nous affranchir des enfermements doctrinaux, des rhéteurs et polémistes ne cessent de débiter inepties et contre-vérités. Cela compliquera notre tâche, mais nous ne nous tairons pas. Nous n’abdiquerons pas. Nous nous lèverons et nous battrons. A nos extrémistes auxquels nous sommes confrontés tous les jours dans une bataille de survie où l’enjeu n’est rien d’autre que la civilisation, nous ouvrons le front de la riposte aux distillateurs d’exécration et d’inimitié. Il y va de la paix civile et de la concorde nationale. Nous n’accepterons jamais la mise à l’index des citoyens musulmans qui, ethnicisés par la leur confession, sont décrétés inassimilables. Auquel cas, il ne leur reste plus que la « remigration » vers je ne sais quelle contrée ? alors qu’à l’instar de tous les Français, ils ont été touchés dans leur cœur et dans leur chair par le terrorisme islamiste abject.
La communauté nationale au sein de la République est, sous la voûte de la laïcité, une association politique auto-fondatrice de sa propre légitimité. C’est la citoyenneté engagée et partagée qui la consacre en intériorisant l’obéissance à la loi commune. Tout en tenant compte de la psyché collective, de la culture et de l’histoire, elle exclut une quelconque hiérarchisation entre « souche » et « diversité », dont on ne sait jamais délimiter les contours ni préciser les origines.
Même l’art, miroir de l’ineffable et expression de l’indicible se voulant comme une célébration de l’histoire commune et une exaltation des signatures esthétiques, s’est trouvé visé en l’exposition Arts de l’islam, un passé pour un présent, organisée par le musée du Louvre et la réunion des musées nationaux — Grand Palais en partenariat avec la Fondation de l’islam de France. D’aucuns ont osé voir dans cette exposition soutenue par le Premier ministre un culte dédié au multiculturalisme et une concession faite à des civilisations « étrangères » au détriment de l’œuvre d’assimilation. Ce degré d’ignorance institutionnalisée par des médias de grande échelle ne devrait même pas appeler de réponse tant l’approximation est grossière et les affirmations sont fallacieuses.
Des arabesques qui ornent nos cathédrales au substrat arabe de la langue française, l’hybridation est patente. Cela, sans parler des sciences, de la littérature et des humanités.
Ignorance institutionnalisée. Nous cédons, néanmoins, à la nécessité d’apporter des précisions : cet événement est une réponse culturelle manifestée par une exposition d’art profane qui n’a rien à voir avec le sacré religieux. Les objets exposés dans dix-huit villes à travers la France, sont toutes des œuvres françaises présentes sur le territoire national depuis des siècles. Ils témoignent de la prégnance civilisationnelle de l’islam. Des arabesques qui ornent nos cathédrales au substrat arabe de la langue française, l’hybridation est patente. Cela, sans parler des sciences, de la littérature et des humanités. Elle est aussi là, la grandeur de cette France dont le patrimoine culturel a su attirer le rare et le subtile, donner asile au précaire et au fragile et faire terreau aux idées grandioses d’avenir.
A Charles Maurras et Jacques Bainville, nous préférerons toujours Louis Massignon que Jacques Berque appelait le « Cheikh admirable » et que Pie XI surnommait le « catholique musulman ». Considéré comme un des fondateurs de l’islamologie française contemporaine, Massignon était un chrétien amoureux de l’islam. Il est mort au plus fort de sa foi avec une soif d’éternité, nourri par une inclination et un amour qui n’ont jamais faibli envers l’Orient et les islamités. Des hommes passeurs et passerelles, la France a toujours su les enfanter, et ce, même durant ses pages les plus sombres.
A l’heure où l’on convoque les théories les plus ignominieuses, celle qui suggère le remplacement des uns par les autres, et celle présentant l’altérité comme une non France, nous avons plus que jamais besoin du sens de l’appartenance et du destin retrouvé. Le salut est dans une altérité heureuse. Cet autre que l’on nous dépeint sous des traits mensongers avec des traits inventés et des couleurs éculées, n’est autre que nous-même ! Son pied bat la même terre où rient ses enfants ; coule sa sueur. Il souffre comme nous des trop du monde, se réfugie comme tous dans dieu, dans la famille ou dans tout autre salut qui l’abrite et le mène aux matins heureux. Elle est peut-être là, cette chance d’exister et de ne jamais mourir, dans la « re-rencontre » des Français, dans ces notions d’accueil, de générosité et de goût de l’autre. Peut-être l’heure du nécessaire et salutaire grand enlacement…
Ghaleb Bencheikh est président de la Fondation de l’islam de France.