Frédéric Encel
Bruno Pinchard
Texte complet du cours donné par Alain Juillet le 28 janvier 2021
Nous sommes dans une société où l’indignation se substitue à la réflexion, la gesticulation à l’action, ou les minorités agissantes remplacent l’expression de la majorité, et le présent impératif le passé que l’on renie ou que l’on veut oublier. De surcroit la crise de la Covid 19 a bouleversé notre société. Par peur de la mort, se traduisant en principe de précaution, elle nous a fait accepter une remise en cause de nos modes de vie et de notre espace de liberté.
Elle a fait prendre brutalement conscience aux jeunes générations que nous sommes mortels, en dépit du progrès scientifique, et impuissants face à la nature.
Ce retour brutal à une réalité oubliée par une société humaine où l’exigence de paraître se faisait au détriment de l’être nous rappelle aux fondamentaux : nous avons besoin pour exister de réconcilier la technique et la poésie et prouver que l’action ne s’oppose pas au rêve. Il faut s’extraire du bruit et de la réalité d’un monde prométhéen, pour retrouver le dépassement de soi, l’acceptation du risque, et la vraie solidarité.
La troisième rupture
Avec l’Internet et le numérique, nous sommes en train de vivre la troisième grande rupture dans l’histoire de l’humanité après l’écriture et l’imprimerie disait Michel Serres. L’augmentation des capacités d’expression et d’action, des individus et des groupes, démultiplient leur rayon d’action et leurs donnent la puissance d’agir. Elles permettent à chacun de faire entendre sa voix, d’échanger avec d’autres, de coopérer, d’entreprendre, d’atteindre un public, ou encore d’opérer sur un territoire, ou de travailler sur une base géographique mondiale. Jamais autant d’informations, de connaissances et de création n’ont été accessibles à un aussi grand nombre d’individus constatait déjà Michel Rocard dans les années 90.
Le père oublié de l’internet, le français Louis Pouzin, et les pionniers de l’informatique dans les années 1960 avaient pensé la technologie comme un système de machines et d’interfaces au service de l’humain. Ils avaient conçu les réseaux décentralisés et sans hiérarchie comme un écosystème communiquant, pour échanger et mutualiser les connaissances, apportant d’autres perspectives sociales politiques et culturelles. A travers des possibilités de collaboration dans tous les sens, en lien étroit avec le plus grand nombre, les citoyens connectés se sont trouvés en capacité de partager à titre individuel ou collectif leur vision de la société, de débattre des choix, de surveiller l’intégrité des pratiques et la qualité des institutions et des services publics.
L’appropriation par la jeunesse
Cette transformation introduite par le numérique et les réseaux est l’une des seules perspectives technologiques qui a fait l’objet d’une adhésion collective de la jeunesse. En offrant un immense auditoire, notamment au travers des réseaux sociaux, l’utilisation d’Internet favorise des mutations profondes de nos organisations sociales. Avec cet outil, les nouvelles générations cherchent à établir des rapports plus horizontaux, plus égalitaires, plus interactifs et plus immédiats conformément à une vision à la fois humaniste et démocratique des rapports humains. Nous assistons à un changement culturel qui s’opère, lentement mais surement, par un usage croissant des nouvelles technologies digitales. Dans les jeunes générations, ils ne sont plus que 49% à considérer l’effort de l’acquisition de la connaissance comme essentielle, puisqu’ils l’ont sous les doigts. Pourtant, l’information n’est pas la connaissance, qui reste la dernière étape d’un processus d’acquisition et d’intériorisation.
On peut comprendre cette adhésion de la jeunesse car les technologies numériques et l’internet ouvrent, un extraordinaire espace de libertés : liberté de s’exprimer, de créer, d’accéder à l’information, et réaliser à faible cout des œuvres et des conceptions avec les imprimantes 3D. A partir du moment où existent certaines architectures techniques et que les savoir-faire nécessaires sont largement diffusés, ces libertés deviennent, comme le remarque Amarya Sen, constitutives de capacités et créent la confiance.
La face noire des risques
Mais le numérique est aussi porteur d’aspects négatifs qu’il ne faut pas négliger. On doit regarder sa réalité et ses conséquences sur le modèle du livre de Stevenson traitant l’étrange cas du docteur Jekyll et Mr Hyde, ou aller dans le sens de Paul Valery pour qui l ‘homme moderne était l’esclave de la modernité. Les outils digitaux et leur exploitation permettent de surveiller et contrôler physiquement les individus, de plagier leurs œuvres et leurs cultures, d’intercepter leurs échanges, de piller leurs actifs immatériels. A travers eux on peut manipuler l’information à travers les médias et les réseaux sociaux ou dénoncer sans preuve de manière anonyme. De surcroit, contrairement aux apparences, l’accès au numérique n’est pas ouvert à tous : 28% des français sont en difficulté numérique et 14 millions sont concernés par l’illectronisme. C’est une véritable fracture sociale pour le monde à venir. Ceci implique de renforcer l’accompagnement des personnes en précarité numérique dans un monde où l’écart s’accroit dans l’accès à la connaissance entre les plus riches qui auront tout et les plus pauvres qui ne sauront rien.
Quelle seront les conséquences de la trop forte dépendance aux infrastructures et services proposés par les très puissants GAFAM et leurs satellites ou les BATX leurs pendants chinois ? N’est-elle pas de nature à faire craindre une dépossession des processus de contrôle de l’usage des données et du respect des libertés fondamentales ? Ne faut-il pas garder à l’esprit leurs connexions étroites, légales ou consensuelles, avec les agences de sécurité et les services secrets, omniprésentes dans le dessous des cartes des activités développées sur internet ? Pour y échapper nous allons devoir apprendre à ne pas suivre aveuglément les préconisations des uns et des autres et à maitriser une réalité qui n’est que partiale et partielle. Cet apprentissage va consister à savoir saisir les opportunités offertes tout en sachant identifier et rejeter la face noire de la force.
Le numérique et l’instant
Nous vivons dans le monde de l’instant. On cherche à apporter des réponses à des évènements éphémères et conjoncturels qui nous paraissent essentiels par la médiatisation alors qu’ils ne sont que l’écume des jours. Nous réécrivons l’histoire, en reniant tout ce qui nous a construit, car elle nous fait affronter la similarité des comportements humains au fil des siècles. C’est d’autant plus insupportable que l’hubris nous pousse à croire que l’homme d’aujourd’hui est supérieur à tout ce qui fut ou a été. De même, convaincu que le progrès et la science nous apportent aujourd’hui des réponses rationnelles à nos questionnements, nous refusons de nous projeter dans un futur qui provoque le vertige de l’incertitude et la prise de risques en contradiction avec le dogme du principe de précaution. Remplaçant la vision stratégique à long terme par l’immédiateté de la tactique, nous oublions que l’être et le non-être ne sont pas immuables et n’existent que par leur devenir. Nous sommes dans la tentation de l’éternel présent qui imprègne toute la société.
Dans ce vide stratégique, où l’anticipation est remplacée par la sur-réaction, et la réalité objective par le rideau de fumée du faire croire, le numérique n’est qu’une technique. Mais pour ses pratiquants il a tendance à devenir un substitut de la religion dans ses pires effets comme dans les meilleurs. S’il relie les hommes, il modifie aussi leurs états de conscience comme leurs facilités d’interprétation du monde et de la place qui leur est réservée. Il met à la portée de presque tous un volume de connaissance bien supérieur à celui des plus grands humanistes de la renaissance et une capacité de traitement des problèmes dépassant les possibilités des meilleurs cerveaux du 20ème siècle. Parallèlement, il restreint la sphère de la vie privée des citoyens et encourage la réduction volontaire de liberté physique et comportementale des utilisateurs. A travers la mondialisation, la multiplication des réseaux numériques il crée une unité de façade dans laquelle la généralité est confondue avec l’universalité. Privilégiant les savoir-faire au détriment des savoir-être, il maximise l’influence des comportements par des techniques d’ingénierie sociale utilisée sans contrôle démocratique et éthique des finalités. Derrière cet extraordinaire progrès technique, ce qui est en jeu est la liberté de conscience qui est au cœur de notre civilisation.
La qualité de l’échange
L’individualisation du travail, le face à face avec l’écran de l’ordinateur, la détente devant la télévision, ont tué le dialogue et la confrontation d’idées. Le monde est devenu pour beaucoup une prison et pour d’autres un champ de bataille. Influencé par l’Amérique et l’Asie, l’homme s’oriente de plus en plus vers la solidarité du groupe que l’on forme sur les réseaux sociaux. Or l’être humain depuis la nuit des temps a un besoin physique d’échanger avec l’autre, avec son autre soi. Dans un isolement néfaste il utilise les réseaux sociaux comme substitut avec tous les risques que cela comporte. Il vit dans sa sphère de compétences en abandonnant une partie de sa liberté en contrepartie de facilité d’accès à des services ou pour sa sécurité.
Le monde est passé de la survie des premiers temps de l’humanité, à l’amélioration des conditions de vie, pour en arriver de nos jours à la gestion du temps libre. Ni productrices de bonheur ni de malheur, les nouvelles technologies changent la vie et les conditions de vie. Il est vrai qu’elles poussent l’individu à s’intéresser en priorité aux aspects matérialistes au détriment de l’humanisme et de la spiritualité. Mais il faut également reconnaître que la fracture numérique change nos approches et ouvre des champs d’opportunité dans tous les domaines. C’est ainsi qu’elle nous permet de rechercher et de lire des livres ou des dossiers introuvables. Mais elle génère également des conséquences que l’on ne veut pas voir car elles en sont la face noire car elles ouvrent la porte à toutes les formes de manipulations politiques, sociétales ou sociales.
L’intelligence de situation
La puissante lame de fond de l’évolution systémique dans tous les domaines s’inscrit dans un vaste mouvement d’innovation disruptive qui touche l’ensemble de notre société : modes de production, organisations industrielles, modes de vie et de consommation s’en trouvent bouleversés. Au centre se trouve un nouveau paradigme technologique fondé sur l’interconnexion des objets et des hommes et l’explosion des datas disponibles pour approfondir les connaissances. Les ruptures y sont simultanées comme autant de crises et d’occasions qui rendent nos horizons illisibles et nos prévisions précaires.
Cette réalité inédite, qui fait perdre les repères et dissout les valeurs, nous impose de repenser, voire de réinventer nos intelligences de situation et notre traitement des problèmes. L’homme se construit à l’image du monde qu’il est capable d’identifier. Il faut dès à présent intégrer des capacités d’intelligence augmentée pour prévenir, anticiper les ruptures et sécuriser les dynamiques d’innovation. Quelles compétences et quelles organisations devons-nous imaginer pour une prospective technologique et sociétale adaptée à l’univers des mutations foudroyantes ? Comment défendre des valeurs traditionnelles en les adaptant aux réalités d’aujourd’hui ? Faut-il faire confiance à l’intelligence prédictive des machines ou à leur capacité d’apprentissage pour avancer dans la réflexion métaphysique ? Le cherchant doit imaginer une relation à la machine qui l’écoute, exécute beaucoup plus vite que lui, et lui apporte des solutions auquel il n’a pas pensé mais qu’il va utiliser pour aller plus loin. Mais qu’en est-il de l’humanisme, qu’en est-il de la spiritualité ?
L’homo sapiens
Depuis ses origines dans l’Est africain il y a plus de trois millions d’années, l’homo habilis a évolué. Dans notre partie du monde, la découverte de l’écriture il y a 3500 ans en Mésopotamie a bouleversé ses modes de communication. Puis l’antiquité égyptienne lui a apporté ses lettres de noblesse en façonnant sa culture qui s’appuyait sur la sagesse et une cosmogonie incluant le présent et le royaume des morts. La Grèce lui a donné la philosophie avec les présocratiques d’Héraclite à Parménide. Elle lui a fait découvrir le cosmos qui est l’ordre dans le monde, le monde de la perfection mathématique avec Pythagore, puis celui des idées de Platon qui implique de sortir de la caverne. Aujourd’hui il est devenu un homme très individualisé qui maitrise plus ou moins bien les paramètres de sa vie, s’est forgé des idées, accumulé du savoir et acquis des savoir-faire à partir des travaux et des découvertes de ses prédécesseurs. Sceptique et parfois nihiliste, libertaire et souvent hédoniste, il utilise les réseaux sociaux et le cyber espace pour communiquer et multiplier ses capacités apparentes. Il est devenu véritablement sapiens comme dirait Yuval Noah Hariri.
Bien qu’il se soit éloigné de la symbolique pour privilégier la raison pure, il continue à s’interroger en regardant la nuit étoilée sur son positionnement dans le cosmos, son avenir, le sens de la vie et sur l’existence d’une suite à la vie terrestre. Comme le dit François Cheng, quand notre existence prend une direction, elle prend sens. Dans une approche utopiste ou par une démarche volontariste, l’homme, fils du démiurge, se veut maitre de son destin. Il a toujours la tentation de se positionner par rapport au Dieu origine, qui est par essence indéfinissable comme le rappelait Maitre Eckhart. Certains l’adoptent en dépit de l’incomplétude pour ouvrir les portes d’un futur construit sur l’espérance et progresser vers le point oméga cher à Teilhard de Chardin. D’autres le rejettent en tant que principe créateur pour se confronter au processus d’anéantissement progressif ou brutal dans le trou noir du néant.
La relation au temps
Au-delà du progrès constant et grâce aux travaux et recherches des scientifiques et des philosophes, des hommes et des femmes se mettent en résonnance avec ce qui fut et sera de toute éternité pour sortir du temps linéaire et dépasser leur condition humaine. Ils veulent retrouver la dimension transcendantale du monde qui pousse l’homme à l’universel et génère du sens en tant que symbole d’unité. Qu’il soit artiste, en communion par les sens et la pratique du rêve éveillé, mystique par la méditation et l’hypersensibilisation au vide existentiel, ou initié par l’ouverture aux symboles et le travail sur soi, il veut se dépasser pour aller vers l’Unicité. C’est ainsi que, dans sa recherche de l’Unité primordiale, le cherchant s’ouvre les portes du monde imaginal cher à Henri Corbin pour traverser les sphères d’Ibn Arabi et retrouver le Dieu de lumière. Cette relation au temps linéaire et cyclique est un des problèmes majeurs de notre société moderne qui privilégie l’instant et ne sait plus donner du temps au temps. Force est de constater que le progrès a toujours cherché à annihiler la temporalité. Chaque avancée technique, au moins depuis l’invention de la roue, n’a eu pour finalité que d’améliorer les moyens d’aller plus vite, de réduire les distances, en perfectionnant les méthodes. « Aller vite ? Mais où ? »s’insurgeait Georges Bernanos face à la vanité de la société industrielle. Le numérique n’a rien fait d’autre que perfectionner cette course à l’ubiquité en la transformant en mode de vie à travers une révolution digitale où l’immédiateté devient accessible du bout des doigts.
La vie et son futur
Le progrès technique ne pouvait pas s’arrêter si près du but. Si la bataille de l’ubiquité se heurte encore, dans notre monde, aux lois de la relativité, les théories quantiques nous ouvrent désormais un champ des possibles vertigineux. L’Un de Pythagore devient multiple car le quantique change le monde en multiple. De surcroit il transforme l’homme en acteur en le plaçant au cœur de l’expérience pour éprouver et ressentir. Dans ce cadre, une des expériences les plus récentes réside dans l’existence révélée d’univers parallèles, créés à chaque interaction dans notre système traditionnel. Selon cette théorie, qui nous rappelle les mistvot de la religion juive, nous pourrions être, à la manière des particules élémentaires, ici et là-bas dans le même temps. Cette ubiquité parfaite, qui défie notre sens commun et ouvre des horizons insoupçonnés à la pensée humaine, a déjà des applications dans un monde scientifique, habitué à nous prendre de vitesse. Ceci doit nous amener à repenser nos modèles en élargissant notre champ de vision puisqu’au niveau de l’unité il existerait plusieurs un qui se superposent et s’interpénètrent.
Dans cette recherche d’un futur évolutif le monde actuel nous offre trois alternatives tranchées basées sur l’esprit et la matière dans lesquelles l’être humain se positionne selon sa sensibilité. Dans la première, l’homme qu’il soit déiste ou théiste tend vers un Dieu tout puissant, qu’il appelle principe créateur, Grand Architecte, Ahurah Mazda, Brahma, ou toute autre nom le mettant hors de notre humanité. Dans la seconde, il est convaincu que sorti du néant il va y retomber après sa mort. Il cherche à exister au mieux et se donner des raisons de vivre dans l’éphémère en refusant de conceptualiser un avenir qu’il ne pourra pas atteindre. Dans la troisième, il veut se donner un avenir en prolongeant sa vie et tendre vers l’éternité en se substituant à Dieu par la science. En refusant d’admettre la réincarnation bouddhiste, la résurrection christique, la réincrudation alchimique et tout autre approche spiritualiste reposant sur l’espérance et la finalité il confond la vie à perpétuité sur la planète terre et l’entrée dans l‘éternité comme partie intégrante du cosmos.
Du mysticisme à l’athéisme
Le mystique, qu’il soit chrétien comme saint Jean de la Croix ou sainte Thérèse d’Avila, soufi musulman comme Sorawardi ou Al Allaj, ou lama tibétain connaisseur du Bardo Thodol, veut aller vers Dieu pour fusionner dans une hiérogamie transcendantale. Le spiritualiste travaille à la compréhension du cosmos qu’il imagine, tel Spinoza ou Newton, en regardant la nature ou, comme Aristote et Averroes, en recherchant le moteur immobile au centre des rayons de la roue de la vie. Le croyant va y réfléchir et donner un sens à sa vie dans un cadre défini par les règles transcendantales de sa foi reposant sur la crainte, la soumission ou l’amour selon sa religion du Livre. Dans tous les cas la référence est Dieu ou le principe originel qui préside à notre perception puisque les autres mondes nous échappent. Dieu est tout, et tout est dans tout ajoutait Anaxagore.
De l’autre côté le technicien veut remplacer les pièces défaillantes du corps humain pour faire vivre à perpétuité l’homme renouvelé sans vouloir prendre en compte les conséquences pour l’humanité qui sera condamnée au vieillissement et à l’abandon de la création par disparition obligée de sa descendance. On substituera la mécanique à l’amour et on abandonnera Dieu qui n’a plus de raison d’être à partir du moment où on ne recherche pas l’origine en se contentant du présent, hic et nunc. Certes on n’arrête pas le progrès et cette évolution est dans la nature des choses mais, en voulant concilier l’inconciliable, elle ouvre la porte d’une société planétaire dans laquelle ceux qui seront prolongés exploiteront les autres qui deviendront leurs esclaves dans leur temporanéité.
La tentation de l’homme Dieu
D’autres envisagent d’augmenter les capacités de l’homme par la connexion avec des machines capables de se substituer partiellement ou totalement à lui. De l’exosquelette à la puce implantée à demeure, de l’ordinateur branché sur le cerveau aux lunettes faisant vivre dans le monde virtuel où nous devenons des hologrammes, l’asservissement par les neuro technologies est le levier de l’exploitation moderne de l’homme par l’homme. Nous entrons dans un monde où le pire châtiment pour les usagers sera la déconnexion. Là encore tous ceux qui en seront exclus connaitront l’esclavage réservé aux sous-hommes. Dans cette tentation de l’homme-Dieu, aboutissement du rêve prométhéen, nous nous dotons de tous les pouvoirs pour privilégier le progrès au détriment des conséquences.
Le vrai problème du monde digitalisé est donc de construire un futur exploitant les possibilités offertes par le numérique sans tomber dans la tentation de l’homme dieu et en mettant l’accent sur l’éthique et la responsabilité de chacun pour construire ensemble un monde meilleur et durable. Vaste programme qui semble relever du chimérique quand on voit le comportement et les attentes de nos concitoyens. Pensant que la science est la réponse à nos maux, ils ont oublié qu’il faut réfléchir et se questionner. Le travail sur soi est essentiel et ne peut s’inscrire vraiment, selon Spinoza, que sur la connaissance augmentée de la Nature. C’est cette démarche qu’il faut enseigner. Il faut apprendre à apprendre en s’appuyant sur le savoir traditionnel ésotérique, allégorique et symbolique. Aujourd’hui les hommes attendent tout du monde moderne mais ils ont oublié que c’est leur propre chemin qui est primordial. C’est dans l’homme intérieur que se trouve la vérité, dit Saint Augustin.,
Les interrogations de l’homme
Dans le chaos d’un monde en mutation nous sommes devenus des bouchons flottants sur l’écume des jours, balloté par l’incertitude d’une perpétuelle évolution. Oubliant la raison pour privilégier l’émotionnel, embrigadé dans une laïcité mal comprise qui privilégie l’athéisme et réduit la liberté de penser, l’homme est amené à s’interroger. Il a besoin de sens pour savoir où il peut et où il doit aller. Normalement celui-ci se construit à partir d’un principe et de valeurs intemporelles mais, sous la pression de la pensée unique et de l’environnement, elles évoluent en importance et en hiérarchisation. Il lui faut donc sortir des sentiers battus et prendre les chemins de traverse pour trouver des éléments de réponse à son angoisse métaphysique. Il lui faut ressentir que l’Un, âme du monde sensible, n’existe pas mais qu’il est partout la plénitude du vide.
Dans nos sociétés humaines un nombre grandissant d’hommes et de femmes se posent des questions en refusant d’accepter aveuglément le dogme et ce qui est écrit d’officiel. Pour ne pas devenir des robots numériques ils cherchent inlassablement à se connaître et le monde dans lequel ils vivent. Ceci les amène à être indépendants des dogmes et à rejeter les vérités imposées ce qui les fait considérer comme des conspirationnistes ou des marginaux. Avec eux une nouvelle spiritualité est manifestement en création, basée sur une tradition initiale de même nature que celle que nous connaissons aujourd’hui, mais adaptée à nos connaissances d’un univers infiniment plus étendu. Notre monde doit inventer un nouveau monde fini et infini. Le cadre s’est élargi, le principe reste le même, mais nous devons raisonner dans un espace-temps différent.
De l’âme d’enfant à la spiritualité de l’adulte
Ils ont compris intuitivement, comme le rappelait Saint Exupéry, qu’il faut retrouver notre âme d’enfant, car il a la connaissance du monde dans lequel il puise sa substance. En grandissant, il se coupe de sa racine spirituelle en se remplissant de certitudes. La croyance succède au détachement et génère le doute car il ne connait plus le monde essentiel. C’est ainsi que l’on se questionne pour savoir si l’on croit ou pas en Dieu alors que le problème est tout autre : on prend conscience de ce qu’il est en nous et que nous sommes en lui ou on en n’a pas conscience. C’est pourquoi le retour à la connaissance spirituelle fondamentale est indispensable car il reconnecte l’individu et rend la croyance inutile. En élevant l’âme on utilise l’esprit pour ne pas oublier l’absolu. En redonnant vie à ce qui était rendu mort par cette ignorance, l’homme redevient conscient de sa globalité par ses sens et par son essence.
L’acquisition de la véritable connaissance apporte au cherchant des réponses existentielles qui l’amène à se spiritualiser dans une quête d’un monde meilleur. Il prend conscience qu’il est un élément infinitésimal du cosmos, aussi indispensable que tous les autres qui le composent et interagissent dans un effet papillon universel. Comme le disait Rainer Maria Rilke « l’homme est dans l’univers quand l’univers est en lui ». En intériorisant l’univers infini en lui, il devient une poussière d’éternité. Encore faut-il qu’on lui donne les clés de départ, qu’on l’accompagne dans ses réflexions, qu’on le suive dans sa progression, et surtout qu’on lui communique la force et la volonté nécessaire pour aller de l’avant. Encore faut-il que les outils et les éléments de cette transmission soit en résonance avec ses méthodes, ses attentes, son mode de vie et son environnement scientifique et technique.
La rupture créative
Pour en donner un exemple et nourrir la réflexion il faut savoir que certains scientifiques de renom, comme le mathématicien et physicien britannique Roger Penrose, prix Wolf de Physique en 1988, pensent pouvoir démontrer l’immortalité de l’âme à travers la physique quantique. Pour eux la conscience serait une somme d’informations stockée à un niveau quantique et sub atomique dans des microtubules pouvant vivre au-delà de la mort du corps. Le Max Planck Institute de Munich le confirme en énonçant que l’univers physique dans lequel nous vivons n’est que l’univers dont nous avons la perception. Il est clair que ceci bouleverse notre approche et oblige à remettre en cause certaines de nos convictions. Dans le monde actuel la cause détermine la conséquence, car nous n’avons conscience que du monde sensible qui nous entoure. A l’opposé le cherchant conscient de sa double nature travaille à se façonner un corps spirituel, à partir de son corps physique et métaphysique.
Cette évolution nous pousse à dépasser les limites de l’humain pour entrer dans autre chose car le monde est un équilibre subtil entre clôture et ouverture vers l’univers infini. Il ne s’agit pas de rejeter le progrès et la science qui ont fait avancer l’humanité tant au niveau de la qualité de vie que de la compréhension des phénomènes de tous ordres. Il faut simplement raison garder pour ne pas se laisser enivrer par le fantasme de la toute puissance car plus nous avançons et plus l’horizon recule dit la sagesse chinoise. Le problème n’est pas la science mais la maitrise de sa vitesse de développement. Dans cette quête sans fin on bute dans chaque domaine sur un mur qui ne peut être franchi qu’en changeant les règles ou l’interprétation, dans une rupture créative qui ouvre de nouveaux horizons mais n’est jamais l’aboutissement. Avec l’émergence rapide de l’Intelligence artificielle, nous sommes face à l’une des dimensions nouvelles fondamentales de l’activité humaine. On doit y ajouter qu’au croisement de l’intelligence, des technologies et des ressources, privilégiant leur liberté, leur utilité et la rapidité, les modèles de la nouvelle économie sont disruptifs. Ils respectent rarement le droit, la fiscalité et la simple morale. Tout ceci soulève de nombreux questionnements sur les risques de dérives éthiques et le rapport homme-machine.
La recherche et le respect des valeurs
Il n’est donc pas étonnant que, face à cette recherche permanente et cette progression tentaculaire, on voit monter une attente croissante d’éthique de la part des citoyens et une quête de sens qui va de pair avec l’amélioration globale des conditions de vie. Le problème c’est que l’éthique n’est plus perçue comme le respect des valeurs fondamentales mais comme celui des composantes de la pensée unique, qui sert de référence morale. De ce fait on n’a pas le droit de critiquer ou de s’interroger en sortant de la pensée convenue, imposée par des groupes de pression minoritaires à travers les médias et les réseaux sociaux, sans être perçue comme un dangereux complotiste. L’indépendance d’esprit tout comme la liberté d’expression devenant relative dans la sphère de vie ceci donne une force particulière aux tenues dans les loges où, depuis des siècles, la tolérance et la fraternité permettent de s’exprimer sans risquer l’anathème, les poursuites judiciaires ou l’exclusion médiatique.
Au siècle des Lumières de grands penseurs et de grands scientifiques, de la Royal society à l’Encyclopédie, dépassant l‘humanisme de la connaissance d’un Pic de la Mirandole lors du Rinascimento, faisaient la promotion d’un humanisme des valeurs dans lequel l’homme se libérait de l’idôlatrie et de l’idéologie. Ils ont imaginé un système original permettant de progresser ensemble dans la connaissance de soi et de notre intégration dans le cosmos tout en vivant dans le monde du présent. Ce fut le début de la Franc maçonnerie qui, refusant le carcan religieux et voulant comprendre les petits et les grands mystères, préconisait la pratique des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité. Précisons ici, avec Max Picard, que la fraternité ne peut être que spirituelle sinon elle n’est que bavardage et mondanité.
Cette recherche conjointe du beau du bien et du bon, s’appuyait sur la pratique des vertus théologales et cardinales. Elle impliquait que la pratique des devoirs était un préalable au bénéfice des droits. Elle supposait honnêteté tolérance éthique et humilité pour obtenir une conversion du regard sur soi et sur le monde qui sortait du champ clos des intérêts particuliers pour devenir le terrain d’expérimentation d’un monde meilleur avec la collaboration de tous.
Une franc-maçonnerie en crise
Cette création reposant sur des archétypes de l’humanité a permis une formidable évolution des idées et des pratiques dans l’Europe du 18ème siècle. Malheureusement l’être humain étant généralement plus orgueilleux qu’humble, plus cupide que désintéressé, et plus pervers que franc, l’institution a évolué en perdant partiellement ce qui faisait sa force. Comme l’a si bien analysé Hanna Arendt au nom du bien on peut faire le pire du mal. Napoléon puis les républiques africaines en ont fait un outil de pouvoir personnel, la Cour d’Angleterre et la GLUA l’ont utilisé comme outil de contrôle et surveillance des élites dans le cadre du Commonwealth. Plus près de nous, des obédiences l’ont transformé en instrument de pression idéologique et sectaire prémisse d’une forme de pensée unique, d’autres ont détourné le concept de laïcité au profit de l’impératif athéiste, tandis que certains ont dérivé en associations affairistes. Adaptant la phrase de Manon Roland montant à l’échafaud, on pourrait dire : Franc maçonnerie, que de crimes ont été commis en ton nom…
Parallèlement les intellectuels et les idées qui en faisaient sa force et sa richesse sont progressivement partis devant cette absence d’échange et d’ouverture d’esprit qui avait permis à la noblesse et à la bourgeoise écossaise d’être acceptés dans les loges du 17° siècle. Depuis un demi-siècle la créativité a disparu avec pour conséquence une franc-maçonnerie en crise. La fraternité initiatique est remplacée par un mélange de tolérance dans la diversité. La solidarité, figure de l’unité, s’est transformée en charité sociale et la cordonnite se confond pour certains frères avec la quête d’absolu. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment l’écologie réelle qui concerne le futur de notre planète ou le communautarisme qui détruit nos sociétés, ne mobilisent quasiment personne dans la Libre pensée. Dans une perversion des valeurs fondamentales la tolérance est devenue laissez faire, la liberté refuse toute contrainte, et l’égalité est confondue avec l’égalitarisme.
Notre réalité face au développement durable
Loin de toute considération hermétique, la prise en compte de la réalité d’aujourd’hui s’avère difficile car il faut évoluer avec son temps ce qui remet en cause les usages et les organisations. Dans le chaos l’important c’est le discernement d’autant qu’il n’est jamais facile de concilier tradition et modernité. Ajoutons que nos travaux, avec nos pratiques multi-centenaires, ne s’ouvrent pas sur l’homme d’aujourd’hui avec ses problèmes, ses doutes et ses inquiétudes. Immergé dans l’immédiateté du présent qui privilégie la réaction nous essayons de nous justifier par des références au passé sans nous projeter dans l’avenir. Nous avons cessé de faire rêver et périclitons au niveau international car nous n’avons pas su trouver la place de l’homme dans ce nouveau modèle économique. Nous sommes dans un monde ouvert et complexe, où les cultures se mélangent dans la diversité. Cette interculturalité refuse l’uniformisation dans un communautarisme qui s’oppose à l’unification nécessaire.
La perception de l’écologie est révélatrice de cette situation paradoxale. On part de constats numériques actuels que l’on projette dans l’avenir pour en tirer des affirmations tendancieuses sur la responsabilité sociétale de l’homme dans la dégradation de son environnement. Dans un remake du Club de Rome, on nous annonce des catastrophes et des pénuries dont il est interdit de discuter les fondements au nom d’une idéologie technocratique et politisée qui les transforment en dogme. Malheur à celui qui n’adhère pas à la doxa. Il se retrouve au rang d’assassin des générations futures. Pourtant une analyse plus froide montre que les composants de cette réalité environnementale et leur évolution sont plus complexes qu’on veut nous le faire croire. Le défi écologique est un problème majeur pour l’humanité à venir qui doit mobiliser les compétences de tous ceux qui pensent au-delà du présent et croient en certaines valeurs pour assurer la transition. La pollution et le défi climatique ne sont pas un problème relevant des opinions politiques. La réponse passe par une évolution des compétences dont la franc-maçonnerie devrait être partie prenante et même moteur depuis longtemps. De même qu’il existe des droits de l’homme il est temps de faire émerger des droits de l’humanité, chers à Corinne Lepage, pour faire prendre conscience de notre nécessaire implication dans l’avenir de la planète. Pour obtenir l’adhésion et assurer la transition écologique il faut réconcilier le global et le local, le spatial et le territorial dit Françoise Bonardel. Il faut humaniser le message en s’appuyant sur l’intelligence collective et en utilisant l’horizontalité croissante des nouvelles organisations et des modes de décision. On ne lutte pas contre la pollution par des anathèmes et des chiffres mais par la perception émotionnelle chez l’être humain d’une menace qui concerne sa descendance. Comme le dit si bien Finkelkraut il faut poétiser l’écologie et j’ajouterai la dépolitiser pour qu’elle devienne l’affaire de tous.
L’utilité du partage et de l’exemple
Dans cette prise de conscience et dans cette lutte planétaire l’émergence de l’utilité du partage a une dimension sociétale et économique importante. Issu de la solidarité dans un contexte où les préoccupations écologiques s’affirment, il s’intègre dans le développement durable et participe de l’économie circulaire. Concernant tous les secteurs d’activité, il remet en cause la façon et les modes de production et de consommation traditionnels ainsi que la valeur des choses. Cette évolution d’usage va impacter le travail, autre valeur traditionnelle en pleine évolution, et aider à la résolution de multiples problèmes existants. Au moment où les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle vont remplacer un bon nombre d’activités humaines il va falloir intégrer le rôle de l’homme et les conséquences de ce changement majeur sur son comportement. Accéléré par la Covid 19, il va modifier fondamentalement une relation au travail qu’il va falloir réinventer.
En dépit de ses problèmes d’adaptation au monde actuel, la franc maçonnerie, grâce à ses valeurs et à la pratique de ses principes, reste un des rares points fixes dans un occident désorienté en quête de repères. Les rites par leurs références, leurs bases culturelles multiples, leurs mythes intemporels et leurs symboliques permettent de mieux vivre. C’est à nous de l’affirmer, de le montrer et d’agir en l’adaptant aux réalités actuelles au niveau du message et de la transmission. Comme l’écrit Jacques Trescases c’est une discipline d’éveil et de réalisation pour répondre aux trois questions fondamentales : d’où venons-nous, où sommes-nous et où allons-nous. Elle apporte à celui qui veut travailler les clés pour mieux vivre et progresser dans la connaissance. Mais cela suppose une transmission permanente entre tous ceux qui sont sur le chemin et les autres car chacun doit apporter sa contribution à la construction du temple. L’individuel devient collectif. Ceci suppose également de vivre dans nos Loges mais surtout à l’extérieur de celles-ci une vie reposant sur la pratique des vertus fondamentales de la Franc Maçonnerie. Sur une planète où tout se sait et tout circule la franc-maçonnerie ne s’arrêtera pas à la porte du temple. Nous devrons être des exemples pour inciter les profanes à venir vers nous en allant au-delà des signes, paroles et attouchements. Il faut que l’on reconnaisse à leur sagesse les vrais enfants de la lumière, dit le rituel. Sommes-nous prêts à en assumer les conséquences et à en porter le fardeau ?
La communication et le secret
Aujourd’hui les réseaux sociaux et les nouvelles technologies de l’information permettent d’acquérir en quelques heures un volume de connaissance inimaginable au siècle dernier. Ils permettent également une communication gratuite, immédiate, pour faire passer des idées, promouvoir des valeurs et transférer des connaissances à tous les niveaux et vers toutes les cibles. Mais ceci implique une maîtrise de l’approche et des moyens. De surcroit l’homme moderne travaille souvent seul et bénéficie des meilleures formations à distance qu’il sait parfaitement utiliser. C’est pourquoi il va falloir structurer et analyser la forme et le fond des messages à travers leur impact, leur complémentarité, et leurs modalités d’utilisation pour être compris et utilisés. Enfin il va falloir apprendre à différencier la rumeur et la réalité virtuelle de la réalité vraie d’autant que les professionnels savent habilement utiliser conjointement l’une et l’autre.
Parallèlement, dans ce monde où la transparence est devenue l’impératif de la vertu première, il faut plus de secret car le secret partagé est le ciment de la collectivité. C’est la pratique du secret maçonnique qui provoque une séparation et témoigne d’un changement d’état chez l’initié. Il ne faut pas le confondre pour autant avec les autres formes de secret comme celui d’appartenance qui sera de plus en plus difficile à tenir et se justifie de moins en moins dans un monde de transparence où tout se sait très rapidement.
Construire l’avenir
Placée telle l’étoile flamboyante, au point de rencontre de la transcendance et de l’immanence, la Franc maçonnerie traditionnelle a pour objectif de transformer le profane en un cherchant puis en un sachant qui sait que son travail sur lui et pour les autres ne s’arrêtera jamais. En quête de l’unité primordiale, imprégné de nos valeurs, il accumule les connaissances qui lui seront utiles dans sa progression vers la lumière et dans le cœur de lui-même. Il est sur le chemin traditionnel de Compostelle puis dans le chemin des âmes de Mithra. Mais il se heurte aujourd’hui à l’inadaptation de notre modèle de progression et de réflexion aux réalités d’aujourd’hui. La science ouvre les portes d’un horizon pluriel plus étendu qui génère une nouvelle forme de spiritualité. Le principe est toujours là mais il s’enrichit d’apports scientifiques qu’il ne faut pas rejeter quand ils le font évoluer. La tradition initiale existe mais l’évolution des connaissances humaines avec l’aide de l’intelligence artificielle implique d‘élargir notre champ de vision et nos approches de l’univers. Sous les coups de boutoirs des nouvelles technologies certains petits ou grands mystères deviennent des évidences ou s’éloignent hors de portée. Face à ces changements fondamentaux, et pour éviter l’écueil des blocages et des certitudes, ne faut-il pas promouvoir à côté du rêve et de la poétique les seules capacités humaines que la machine reste incapable de copier : l’intuition et l’imaginaire.
Loin d’être l’individu passif qui se contente de recevoir, l’initié de demain devra dépasser le stade du spectateur engagé défini par Raymond Aron. Dans un monde ou l’obtention du résultat est devenue priorité absolue Il faudra lui montrer que c’est la quête de l’absolu qui change l’homme et non l’atteinte du but. Pour éliminer son insatisfaction existentielle, l’homme de demain devra construire sa vision et son argumentaire sur un ensemble de connaissances enrichies par sa capacité augmentée d’analyse et de synthèse. Il se dotera ainsi d’un nouvel imaginaire, plongeant dans les racines culturelles du passé mais s’éloignant des archétypes classiques du bien être, développés depuis deux siècles dans notre subconscient, qui lui apportera l’espérance. A ce stade la question sera de savoir si on le laisse aller tout seul, tel Dante vers la Lumière, ou si nous l’accompagnons à travers une adaptation de nos pratiques maçonnique au monde qui s’ouvre. A l’heure où les astrophysiciens se représentent le monde dans sa dimension transcendantale car ils pensent qu’il y a quelque chose au-delà de la science, il faut transmettre à nos jeunes profanes et futurs frères l’importance de l’unité du cosmos. Son étude démontre qu’il y a des règles donc un ordre dans l’Un dont les humains ne sont que des manifestations superficielles. Il faut les convaincre que pour réaliser le divin en soi l’homme doit atteindre un niveau de réalisation personnelle avec l’aide des outils modernes du numérique et de l’intelligence artificielle qui lui permettra d’aller plus haut et plus loin et sans nul doute plus vite. Encore faut-il que l’initié leur ouvre la porte du temple.
Alain Juillet
Le 28 janvier 2021